Michel
BOCART
« Ma pratique de l’Art n’explique ni ne cherche à établir une quelconque vérité en regard des dérèglements de notre climat. Mes divers travaux (peinture, photos, techniques mixtes, voire installation) signalent seulement en pointillé une réflexion subjective en regard avec la réalité : une confrontation que j’espère poétique à bien des égards, sans angoisse désespérante, sans pathos. »
Michel Bocart est un artiste visuel belge, né à Bruxelles, dont le travail se situe à la croisée de la peinture, de la photographie et de la poésie visuelle. Formé aux arts graphiques, il développe très tôt une sensibilité pour les matières, les textures, et les empreintes laissées par le temps et les éléments.
Sa démarche artistique interroge les traces visibles et invisibles que l’homme, la nature, et l’histoire inscrivent dans le monde. Par une approche intuitive et organique, Bocart crée des œuvres où se mêlent abstraction et réalité, contemplation et tension.
Son travail se nourrit de paysages en transformation, de structures érodées, de surfaces altérées par l’eau, le feu, la glace. Il explore les métamorphoses du vivant, les équilibres fragiles entre les forces naturelles, et les fractures qui révèlent la beauté autant que le péril.
Depuis plusieurs années, il s’engage plus activement sur la question du changement climatique. Ses récentes séries, centrées sur la fonte des glaciers et le dialogue entre feu et eau, offrent un regard sensible et inquiet sur un monde en mutation. À travers ses œuvres, il donne corps à l’invisible, à l’éphémère, et à la menace qui pèse sur nos écosystèmes.
Exposé en Belgique et à l’étranger, Michel Bocart poursuit une œuvre libre, à la fois poétique, matérielle et engagée. Il vit et travaille à Braine l’Alleud, où il a longtemps enseigné la peinture et les arts plastiques.
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C’est beau le chaos !
Le Grand Architecte de l’Univers serait-il un adepte de la Loi de Murphy qui veut que, tôt ou tard, tout ce qui est susceptible d’aller mal ira mal ?
Au commencement, il y eut le Big Bang originel. Jusque-là tout va bien. Le dérapage ne vint que bien plus tard, avec l’apparition au scénario de la collision d’une météorite avec la Terre. Des mammifères primitifs, après avoir vécu dans l’ombre des dinosaures, sortiront grands bénéficiaires de cet épisode apocalyptique. Prenant en effet la main sur leur destinée, se dressant fièrement sur leurs membres postérieurs, ceux-ci monteront génétiquement en puissance jusqu’à devenir cet être « parfait », Homo sapiens… à qui l’on doit depuis le chaos perpétuel !
Prophète d’une écologie en devenir, Jean-Jacques Rousseau avait déjà à l’époque compris le risque encouru à jouer à l’apprenti sorcier : « Tout est bien sortant des mains de l’Auteur des choses, tout dégénère entre les mains de l’homme. Il force une terre à nourrir les productions d’une autre, un arbre à porter les fruits d’un autre ; il mêle et confond les climats, les éléments, les saisons ; (…) il bouleverse tout, il défigure tout, il aime la difformité, les monstres ; il ne veut rien tel que l’a fait la nature, pas même l’homme […] » (Émile ou De l’éducation – 1762).
Lanceur d’alertes, Michel Bocart nous brosse, dans un lyrisme proche de l’abstraction, un constat subliminal de l’état de santé de notre planète, à travers paysages et écosystèmes menacés. La terre, l’eau, l’air et le feu. Quatre éléments, comme autant de cavaliers de l’Apocalypse, que l’artiste confronte et affronte à pinceaux « mouchetés ». Apprivoisant d’une palette de maître le dérèglement climatique, il nous propose des compositions où incendies, inondations et autres sécheresses se déclinent avec poésie avant de s’évanouir dans l’éther, tels des haïkus picturaux. Ce qui, titillant notre curiosité, devrait réveiller l’inconscient collectif face au danger qui se profile à l’horizon.
Comme dans le tableau de Nicolas Poussin, « Les Bergers d’Arcadie », l’œuvre de Michel Bocart nous invite à méditer sur notre sort en nous renvoyant à notre condition de mortel. Condition que l’impression – fausse – de paradis sur terre ne peut occulter, car l’artiste ne nous promet rien d’autre, certes de manière sublimée, qu’un voyage sans retour vers le chaos primitif.
Le compte à rebours du départ, d’une froideur mécanique, est lancé, orchestré par les icebergs. S’entrechoquant comme des glaçons dans un shaker, ils annoncent un cocktail détonant. Nous allons donc boire. Mais à la santé de qui, en l’honneur de quoi ? Pour oublier peut-être. Trop facile. Mais trinquer, nous allons trinquer ! C’est une certitude, si nous perdons, au propre comme au figuré, le Nord. Dans l’Arctique, Michel Bocart qui les a vus et entendus, les a compris et photographiés. Craints hier, éventrant les certitudes de navires arrogants, ces icebergs, désormais planches de surf pour une faune en danger, ne suscitent plus aujourd’hui qu’un regard distrait. Échappés des glaciers, dérivant au rythme des saisons, ils se renversent, se brisent, se disloquent, se dispersent et s’évaporent tant physiquement que dans la mémoire…
Résultant, peut-être, d’un effet papillon, les travaux réalisés à base de cire d’abeille attirent aussi notre attention sur la précarité de l’existence de ces petits insectes pollinisateurs. Ceux-ci seraient-ils « le canari dans une mine de charbon », annonciateur de la fin d’un monde ?
Oxymore plastique, l’œuvre de Michel Bocart, dans la poésie qui la nimbe, nous promet ainsi en apothéose la perspective d’une catastrophe, mais tellement belle et esthétique…
Alain Forti
Historien de l’art & Archéologue
Conservateur au Bois du Cazier
